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Numérique et développement : de nouveaux leviers pour les ONG et les bailleurs

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Numérique et développement : de nouveaux leviers pour les ONG et les bailleurs

Expert en stratégie digitale, communication et nouvelles technologies, Thierry Barbaut a travaillé quinze années dans le secteur du développement associé au numérique en Afrique. En 2013, il a rejoint l’Agence des micro-projets, un programme de l’ONG La Guilde, comme responsable numérique et communication et y a lancé un programme de dématérialisation. Thierry Barbaut est persuadé de l’impact majeur des nouvelles technologies dans l’aide au développement.

Interview réalisé par l’Agence Française de Développement pour le Blog ID4D

Qu’est-ce que la dématérialisation ?

C’est le fait de passer du papier au numérique. Cela permet de capitaliser les données, de les cartographier, de les trier, de les traiter, de les analyser, de les conserver.

Les nouvelles technologies et la dématérialisation sont un levier global du développement. Le numérique apporte la clé dans des domaines aussi variés que l’eau, l’agriculture, l’éducation, l’environnement, l’énergie. Il y a des applications très simples qui peuvent se révéler capitales en termes d’accès au droit, comme par exemple, lorsqu’on numérise un acte de naissance ou un document foncier avec l’appareil photo d’un smartphone.

Aujourd’hui, dans le domaine des solidarités, seules les grandes ONG et les bailleurs de fonds importants ont des systèmes dématérialisés, en général plutôt complexes. À l’AFD, par exemple, le processus de dématérialisation est en cours. Les petites ONG disposent de quelques outils numériques mais souvent limités. Pour une demande de subvention, le candidat doit en général imprimer le dossier, le compléter, y ajouter divers documents et l’envoyer par courrier. Le traitement de toutes ces données demande des moyens énormes.

 

Qu’a réalisé l’Agence des micro-projets dans ce domaine ?

En 2014, nous avons entièrement numérisé notre interface d’appel à projets. Jusque-là l’Agence des micro-projets recevait annuellement une centaine de candidatures par la poste, avec des formats papier tous différents. Seuls une quarantaine de projets étaient financés chaque année. Aujourd’hui, le processus de dépôt de projet se fait entièrement en ligne.

Le candidat est guidé dans un cheminement en onze étapes. Dès les premières pages, il coche des critères d’éligibilité et sait tout de suite si ça vaut le coup de continuer ou non. Il décrit son projet et ses partenaires en ligne et joint toutes les pièces nécessaires. Des tutoriels sont disponibles pour le guider étape par étape.

La sélection et la validation par un jury se fait aussi en ligne. La dématérialisation nous a permis de gagner en expertise : nous faisons désormais appel à 150 spécialistes internationaux, qui, en se connectant à la plateforme, instruisent commentent et valident les candidatures à distance.

Ce gain d’efficacité permet aujourd’hui à quatre personnes de piloter 900 projets par an, d’en instruire 600 et d’en financer une centaine qui seront ensuite accompagnés tout au long de leur cycle de vie.

Sur notre site, nous avons aussi créé une plateforme de financement participatif. Chaque projet doté par l’Agence des micro-projets peut facilement collecter des fonds complémentaires par le biais de dons de particuliers par carte de crédit.

Les évaluations de terrain sont également disponibles en ligne. Les porteurs de projets sont immédiatement informés par e-mail et reçoivent toutes les décisions et bilans à distance, dans des délais très courts.

Enfin, des bailleurs de fonds partenaires et des fondations ont rejoint notre plateforme. Ainsi, un même dossier constitué en ligne peut être déposé auprès de divers financeurs. La capitalisation des données permet un partage colossal qui entraîne une économie énorme de temps et de ressources humaines énorme.

 

Quels sont les autres avantages du numérique pour les projets de développement ?

La dématérialisation permet surtout l’accès à l’information pour tous. Avant, les gens avaient le sentiment que tout était trop compliqué et renonçaient.

Les candidats ne perdent plus de temps à envoyer des dossiers à des fondations dont ils ne remplissent pas les critères d’éligibilité. Ils le savent tout de suite. Cela évite beaucoup de déception !

La dématérialisation apporte également beaucoup de transparence aux bailleurs et au grand public quant à l’allocation des financements. Le suivi des projets renforce le capital confiance.

Cela permet également l’extraction, l’analyse et le tri des données. Elles sont cartographiées et en sont tirées des études, des fiches de bonnes pratiques. Un bailleur peut ainsi facilement observer ce qu’il se passe sur le terrain, en fonction des pays, des thématiques.

Enfin, les avantages sont majeurs en termes de communication, notamment grâce aux outils de partage sur les réseaux sociaux.

 

Qu’observez-vous sur le terrain ?

Il y a une vraie révolution avec l’arrivée massive des smartphones. En Afrique de l’Est par exemple, on observe une augmentation très rapide de la couverture réseau 3G ou 4G et du nombre d’appareils.

Les évolutions sont beaucoup plus rapides que chez nous car les populations sont souvent vierges de technologies. Si on montre aux gens comment faire, ils s’approprient très vite les outils. Lorsque l’on va dans un village et qu’on demande qui est prêt à participer au financement d’une formation aux nouvelles technologies, tout le monde lève la main.

Les changements sont majeurs. Par exemple, jusqu’en 2013, il fallait un à trois mois pour transférer de l’argent en Afrique, aujourd’hui, une demi-journée suffit, voire quelques secondes avec le mobile money [un portefeuille électronique rattaché à un numéro de téléphone].

Grâce à Whatsapp, Messenger, Viber, les communications sont beaucoup plus faciles, même avec ceux qui vivent en brousse. Plus de 85 000 personnes suivent l’Agence des micro-projets sur Facebook, on reçoit une trentaine de messages par jour.

La bonne surprise a été de constater que des interactions se créent entre les bénéficiaires. C’est la magie des réseaux sociaux ! Ils regardent qui fait quoi, comment tel ou tel projet de développement a été financé et mis en place. Des synergies naissent, certains porteurs de projets se mettent à travailler ensemble, des liens se nouent avec les entreprises. Grâce au numérique, des écosystèmes locaux très dynamiques apparaissent. C’est un cercle vertueux.

 

Quels sont les limites et les enjeux ?

La dématérialisation ne doit surtout pas s’apparenter à une déshumanisation. Au contraire. L’humain doit être au cœur du processus. À l’Agence des micro-projets, nous sommes très disponibles et nous accompagnons en permanence les demandes par téléphone, Skype, e-mail ou lors d’entretiens individuels.

Les bénéficiaires doivent rester au centre du dispositif. Ce sont eux qui connaissent les besoins et la culture. Les outils doivent être accessibles, faciles d’utilisation, ludiques. Il faut absolument éviter toute rupture technologique. Le développement d’outils numériques doit donc aussi s’adresser aux plus démunis, aux personnes dans les villages avec de réels besoins en matière de santé, d’éducation, d’eau… sinon c’est que ce ne sont pas les bons ! Par conséquent, la formation aux outils numériques devient centrale.

Une des limites est le coût, à différents niveaux. Sur le terrain, les bénéficiaires doivent acheter du crédit pour se connecter afin d’échanger avec leurs partenaires en France et il faut de l’électricité pour recharger les smartphones. D’ailleurs, les projets de développement autour des nouvelles technologies incluent de plus en plus un volet électrification, si possible en énergie renouvelable. Pour les ONG et les bailleurs qui veulent adopter la dématérialisation, l’investissement de départ est important : 30 000 euros minimum pour une première plateforme et environ 80 000 euros pour un outil plus poussé et mis à jour régulièrement.

 

Il existe très peu de formations à la dématérialisation. L’Agence des micro-projets est disponible pour conseiller les ONG qui souhaitent faire la transition. On propose d’utiliser notre propre système qui est en open source. Si les ressources humaines et financières sont importantes en amont, le retour sur investissement est considérable.

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